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avant la lettre
3 décembre 2005

nuits d'encre

nits_les_nuits
(au-dessus du Périer, Isère, le 20 nov. 05)

En plus de trente ans d’efforts, les Nits auront réussi à inventer leur propre légende. On sait avec ce dix-neuvième album (Les Nuits, chez Sony BMG/Atmosphériques) qu’ils s’y tiendront jusqu’au bout, fût-ce pour un public restreint. L’iconoclaste précédent recueil, 1974, révélait le trio hollandais dans tous ses états et le malmenait parfois dans la sophistication électronique. Ils reviennent ici à la poésie fonctionnelle, au dépouillement stylé, à cette atmosphère d’un temps arrêté si typique de leur œuvre depuis la seconde moitié de leur carrière. Le risque que sous-tend ce genre d’attitude, c’est bien sûr la confidentialité. On se demande d’ailleurs si la mélancolie nue de la musique nitséenne n’est pas finalement le reflet permanent d’une déception personnelle après l’échec commercial d’un chef-d’œuvre foisonnant (Giant Normal Dwarf, en 1990, est un peu leur Sergent Pepper’s), qui aurait dû consacrer le groupe sur le plan international après quelques albums à fort potentiel (Adieu Sweet Bahnhof, In the Dutch Mountains). Aucune marque de renoncement n’est cependant à craindre. Sous un aspect parfois un peu austère visant l’épure, une révolution formelle gronde en quasi-permanence à l’intérieur de ces Nuits. La menace aigüe de The Rising Sun, chanté en falsetto sur des stridences saturées, et le bouleversant chaos de l’anti-matière de The Hole attestent d’une tension nouvelle. Et lorsque le groupe se réapproprie les ombres de Scott Walker sur The Eiffel Tower, il érige l’un des plus vertigineux monuments de son histoire. Un quatuor à cordes, présent sur la moitié de l’album, ne confine pas la musique des Nits à une douillette pop de chambre (comme l’était Wool en 2000), il l’aide au contraire à mettre en abîme ses noirceurs et ses failles. L’autre audace du disque tient dans le silence instillé, pesé et joué comme n’importe quel autre instrument. Par cet effet de babil mutique, différentes temporalités entrent en jeu à l’intérieur d’une même chanson. La variation des distances spatiales invite l’auditeur à se porter à une attitude autre que celle imposée par le format habituel de la variété et du rock. Les chansons les plus linéaires de l’album, The Keyshop et The Wind-Up Bird, touchent avec simplicité et évidence le territoire des Beatles (versant Lennon), quand elles ne lorgnent pas du côté des Balkans (The Red Dog, clin d’œil à Kusturica ?). Elles sont aussi la marque ancienne d’une idiosyncrasie mélodique reléguée au second plan au profit d’un travail de la matière sonore. Travail au sens pictural : les Nits ont développé un sens inouï de l’organisation sonore, un peu comme le cinéaste Kaurismaki met en scène d’ailleurs. Par un don de double vue, ces musiciens voient et font voir, conjointement sans les opposer, l’essentiel et le peu, l’un à travers l’autre. Les textes sont  à l’image des notes, frêles et elliptiques, mots en orbite autour de verbes rares, phrases jetées par devers soi comme des cailloux blancs à suivre au petit bonheur. Et quel bonheur ! La terrassante beauté de cet album tient autant à la finesse de ses compositions qu’à la mise en jeu de son instrumentation. Qu’elle isole une nouvelle fois les Nits d’une audience plus large ne ferait que confirmer la plus mystérieuse injustice de l’histoire de la pop.

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Commentaires
R
Super Joël, et merci. Figure-toi que grâce à Google j'avais pu tomber sur ton site il y a quelques semaines ! Des photos d'une belle spontanéité qui expriment très bien la générosité des Nits en concert.
J
je n'aurais jamais su si bien mettre en verbe les sensations que me procurent "Les Nuits", ainsi que les 15 années précédentes d'addiction aux merveilleux hollandais... Je les vis a l'AB, jeudi dernier, pour la 8e fois, la magie perdurant.<br /> J'ai essaye de capter par l'image les moments d'une rare générosité que constituent leurs performances en public... Le résultat se trouve sur www.photographictribute.be
D
Une référence en matière de Nuits Américaines : la série "Zorro"... y'a que ça !
A
Eh eh, merci de ces précisions ! J'aurai appris quelque chose aujourd'hui. :-)
D
Une nuit américaine, c'est une nuit artificielle.... on a fermé l'ouverture de l'objectif pour ne laisser passer qu'un peu de lumière.... (voir les vieux films des années 50-60, qui n'ont rien à voir avec les "extérieurs nuits" qu'on sait faire maintenant) ou bien on a détouré le fond de la photo originale pour n'assombrir que lui. On le voit encore bien bleu dans le coin en bas à droite ;-)
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