topographie de l'automne
(Bois Vert, Theys, Isère, le 5 nov.05)
Ces paysages explorent ma mémoire. Là, au fond à gauche, ma mère cueillait des pommes. « Oh, personne ne les ramasse ! », s’excusait-elle en remplissant son grand panier d'osier. Au centre, sous le bouquet de frênes jaunis, des morilles jaillissaient de l’humus luisant de mai, grosses et bosselées comme le poing. A droite, dans la haute forêt qui monte à l'assaut des trompettes-de-la-mort, mon frère s’était mis un jour à hurler de douleur. Une guêpe s'était coincée derrière l'oreille pour lui planter son dard. Moi je crois que j’avais un peu peur de traverser le champ, à cause des vaches.
Maintenant le ciel s’effondre. Un chant : le torrent au fond du vallon. Invisible torrent qui roule et coule un chant de mort. Une odeur de champignons pourris, parfums entêtants d'herbe détrempée. La solitude, le temps qui passe, toutes ces choses dégorgent sous mes pas. On parlerait même de pesanteur enfouie, de bonheur perdu à l'invitation d'un geai qui glisse entre deux arbres. Et ces pentes que mes yeux d'adulte découvrent profondes et sillonnées comme une vieille femme, sa peau tavelée d'automne. Montagne qui pique les sens et fait tomber la pluie, montagne qui sème la neige, gonfle les vents, crie au loup et gardera mes souvenirs.