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avant la lettre
5 octobre 2005

feu de croisement

focus_papa
(dear father, Montvendre, Drôme, le 9 fév. 03)

Je suis repassé rue Colbert hier soir. Cette rue existe moins par elle-même, semblable à toutes les rues qui débouchent sur le cours Jean-Jaurès, que par l’inflexion et le sens que lui donne la lueur du souvenir. Mes pas d’enfant me guidaient souvent ici le samedi après-midi. Mon grand-père y tenait un petit salon de coiffure, c’était là, le local n'a pas bougé. Papi me faisait asseoir sur une chaise en bois un peu raide tout près de la porte, j’attendais qu’il termine son travail en feignant de lire les revues mises à la disposition de ses clients. Je guettais impatiemment le moment où, les brosses enfin rangées, il ouvrirait son tiroir magique pour en sortir une merveilleuse pièce de cinq francs, lourde et brillante. Mon sourire d’enfant heureux et mon gros baiser sur sa joue, c’était sa façon à lui de fêter la fin de la semaine.

Rue calme d’un soir d’octobre, quelques décennies plus tard. A deux pas du salon de coiffure, nous avons dîné dans ce Hammam Café que mon grand-père n’aura pas connu. Parlé des enjeux politiques de la ville, bu un excellent vin, ri de chanteurs faussement morts. Parfois le hasard et le temps nous rapprochent incidemment de nos chers disparus. Dans ce passé recomposé à l’impromptu, on voudrait glisser des personnages familiers de notre vécu, les faire sourire à ce que nous sommes devenus. On voudrait guetter leur tendresse, leur fierté peut-être et puis leur rendre la monnaie de cette pièce de cinq francs, avec de l’amour, beaucoup d’amour. Mais ce que la vie nous confisque un jour, nous ne le retrouvons pas. Notre amour se cogne à des ombres muettes, nos cris s’écrasent sur des vitres à peine translucides. Il est juste temps de regarder la lumière qui filtre à travers elles. Elle déroule un fil mince et cependant précieux, celui-là même qui nous aide à vivre. 

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Commentaires
R
"Passeurs d'histoires", quelle belle et juste expression. Merci Marie-Pool pour ton témoignage.<br /> <br /> LVN : content de t'aider à thésauriser. Je ne te garantis pas le taux en revanche...
M
Un morceau de soi dans le visage aimé...en surimpression...en emboîtement de générations... Vient un jour,pas toujours... où ça intéresse de capter à l'oeil grossissant cet amour des siens que l'on rate parfois si bien au quotidien. Moi,depuis quelques temps,je me suis mise comme toi à les photographier plus souvent ces visages de parents.Je guette la fugue de la vie dans leurs expressions de passeurs d'histoire. Ils regardent beaucoup autour et se taisent beaucoup plus que nous. Ils nous laissent toute la place on dirait...(je parle de ceux que je connais )... c'est beaucoup trop je pense...<br /> <br /> Le noir et blanc : exacte métaphore de la lumière à ses extrêmes. <br /> <br /> Ta photo : Magnifiante,tout bonnement !
L
Tu sais, à te lire, c'est comme s'il était là, ce salon de coiffure, ton grand-père... C'est comme si nos grands-pères aussi étaient là d'un seul coup.<br /> Alors pas de doute, en fait, ils sont toujours là.<br /> Et tu viens de faire tomber une pièce de 5 Francs de bonheur, lourde et brillante, dans la poche de notre mémoire.<br /> Merci.
P
ah punaise qu'est ce que c'est beau quand tu ecris.<br /> ca y est j'ai le blues.
J
Ho ! Je l'ai reconnu tout de suite, sur cette photo ! Très belle image !
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