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avant la lettre
17 mars 2005

la coureuse

coureuse

(plage de la Concha, San Sebastian, Espagne, le 29 dec. 04)

Elle le dévisage. Elle est passionnée, elle se proclame ainsi en versant un peu de vin sur la nappe en papier gaufré. Ce qu’elle va lui dire n’est pas si important que ça. On ne réfute pas les explications d’une passionnée. Ses conclusions ne découlent pas d’un raisonnement, elles sont posées d’abord. L’échafaudage de l’argumentation n’est installé qu’après coup, pour justifier l’emportement. Toute notre vie, nous la passons à justifier nos hormones, à prêter une conscience à notre chimie organique. Les mots pavent un chemin déjà tracé par les élans : ils hèlent l’esclavage que notre corps fait subir à notre âme. Le regard de la passionnée se perche ailleurs, au-delà des yeux qu’il lui tend comme un miroir. Passent des zébrures sous les paupières, quand les mots chuchotent l’indistinct. Son âme est assujettie à la nostalgie : les coups de foudre, recherchés par la passionnée dans sa quête de sensations prétendues nouvelles, puisent leur lumière dans le vert paradis de son enfance, où tout n’était que luxuriance des émotions et liberté des idées. « Tu es beau », pour dire « Tu es le symbole d’une réalité que mon passé a connue » plus que « Tu as tout pour combler mon être en devenir ». Parce qu’après quarante ans, on ne devient plus. L’extase soudaine et brutale qu’ils partageront juste après sera le retour d’un souvenir, une jouissance qui ressuscite le temps ancien. Passion contre le temps qui défigure, goutte de vin sur le papier gaufré.

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Commentaires
A
Je la trouve sublimement inconsciente, cette funambule, de fuir en hauteur ses deux lignes de corde qui ne la ramèneront pas à son ombre, même bien cousue à ses pieds. <br /> La passion ne s'efface pas dans les sables mouvants de la fuite, elle peut juste se retrouver ailleurs, dans la pure folie de croire que tout là-haut il y a encore une autre chaleur.
P
Le pied laisserait-il une empreinte dans le sable, si la mer n'était pas là pour ensuite l'effacer ?<br /> <br /> Jolie photo, msieur Richard.
R
Yes, GuyBrush, c'est le soir sur la plage, comme le montre d'ailleurs l'ombre très allongée de la coureuse. Le sable ici a des reflets changeants selon l'heure et l'état du ciel, du rose pastel à l'orangé vif. Dans la passion, on court toujours après quelque chose d'irréel...
G
Les couleurs ont quelque chose d'irréelle.
R
Chrysalide, merci pour Quignard, qui décidément nous rapproche.<br /> <br /> Falo, merci à toi, merci pour les mots de Cure l'autre jour. Et beau week' dans les rues désommeillées de Paris :-)<br /> <br /> Agnès, inconstante l'essence? C'est vrai que les taux de testostérone sont fluctuants d'une heure à l'autre. J'ironise :-)<br /> <br /> Scrabbleur, LVN : Devient-on ? Je voulais dire "peut-on encore changer complètement de jalons?" Tout n'est-il pas posé par l'expérience de la vie des premières décennies?<br /> <br /> Mamzelle Lili, le nombril : la centritude du naufrage :-)<br /> <br /> Moukmouk, une compo? Où ça ? :-)<br /> <br /> Raphaëlle, qu'importe l'homme, pourvu qu'il y ait la course, c'est ça? Brrr. Nous sommes bien peu de choses.
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