les yeux pour le dire
(Kuala Tahan, Pahang, Malaisie, le 10 août 05)
Ce
que les voyages nous racontent ne dure pas assez longtemps. On revient
les yeux grand ouverts, le cœur plus affamé de vérité. On se sent
pousser les ailes d’un spectateur engagé (dans les propres mots de
Raymond Aron), on voudrait s'impliquer davantage. Et pourquoi pas
orienter le blog vers une tentative de réflexion plus globale sur ce
monde si loin si proche qu’on a senti battre sous sa paume. Mais on
sait déjà vers quoi le temps, ce filet lâche si vite encombré d’habitudes et de
contraintes, va refermer nos poings : il faudra d’abord se battre
contre nos moulins à vent quotidiens avant de tendre la main à nos
lointaines familles. Les médias vont aussi se charger de nous isoler,
confinant notre horizon (la grotte de Platon, vous y êtes, nous y
sommes) aux frétillements de Sarkozy, à la sécheresse en Haute-Vienne
et à la grippe aviaire. Au reste, une compréhension prospective de la
planète ne se satisfait pas plus de deux voyages par an. Elle est un
exercice immensément difficile auquel un métier entier (et cent heures par semaine,
pas trente-cinq), une vie durant, suffit à peine. Au moins nous
reste-t-il quelques clichés soutirés à sa beauté, à sa misère parfois,
et dédicacés à nos propres yeux, qui contiennent tout l’espoir… Tout
l’espoir du monde. L'an II d'Avant La Lettre est commencé.