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avant la lettre
15 février 2005

la marche de l'empereur

   

  (San Sebastian, statue du Mont Urgull)
 
  « Mitterrand est mort ». C'était un jour de neige - comme aujourd'hui. La nouvelle était tombée des lèvres plissées de ma patronne, que je vois encore s'ébrouer sur le perron de l'agence, son manteau vert bouteille étoilé de flocons. Nous n'avions pas épilogué, je la savais de gauche, je m'étais vite remis au travail. La sortie du film de Robert Guédiguian, « Le promeneur du Champ-de-Mars », sur les derniers mois de la vie du Président de notre République, me ramène des images de son règne. Des images par nuées imprécises, déformées par la lutte entre des (tentatives de) réflexions successives et le prisme subjectif. Je n'en saisis toujours qu'un sens approximatif, malgré les années de recul. J'ai d'abord en tête la mine défaite de ma famille devant la télé le soir du 10 mai 1981. Et aussi cette grande marche quasi-monarchique vers le Panthéon quelques jours plus tard, Dieu vivant entouré de ses apôtres, le tergal beige de Roland Dumas, la permanente affriolée de Jack Lang, la bonhomie rougeaude de Pierre Mauroy. Dans mes yeux d'enfant, Mitterrand était un personnage peu aimable et hautain, « moins rigolo » que ce Giscard l'Asperge dont j'adorais stigmatiser les manières et la maigreur. Surtout que celui-là était escorté par des communistes, créatures féroces susceptibles de faire pousser des cris d'orfraie à ma mère. A la même époque, je découvrais le rock sur des radios qui éclosaient par grappes sur la bande FM. Mon père empochait une cinquième semaine de congés payés et l'actualité était scandée par des mots nouveaux : « décentralisation », « nationalisation », « justice sociale ». Tout ça mêlé aux rumeurs de chars russes dans Paris et d'interdiction de franchir les frontières du pays : « On ne pourra plus partir en vacances, Papa ? ». D'un personnage aussi éloigné de mes stéréotypes de la sympathie, j'apprendrai difficilement à évaluer une idée, convenir qu'elle ait pu être portée par une conviction sincère, sans tentation démagogique. Emergera au moins la silhouette d'un homme intelligent, même si intelligent par vice, cramponné au pouvoir comme un incurable à son chevet. Il faudra l'arrivée de Chirac en 1995 pour contraster l'image de Mitterrand – et faire éclore mes premières préoccupations politiques. C'est la lumière des faits actuels, l'état économique, social, culturel, intellectuel de la France, qui continue d'éclairer par pans mon idée sur lui. « Vous verrez, après moi, il n'y aura plus que des financiers et des comptables », prophétise Michel Bouquet/François Mitterrand dans le film de Guédiguian. Pour parer à l'essentiel, sur ce point-là et aujourd'hui, je suis d'accord.
 
 
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Commentaires
P
pareil que mosca :)
R
Merci pour l'info Kouignaman.<br /> <br /> Super, Bertrand, heureux témoignage, tu es donc l'homme qui l'a rencontré, approché, ressenti... Et Anne n'était pas loin derrière. Bouh ! Le fantôme de Mitterrand passe vraiment dans mon blog, grâce à vous. Merci.
A
Souvenirs de sa silhouette à quelques centaines de mètres, un week-end brumeux nivernais.<br /> <br /> Venu enterrer un camarade, un ami. Nous y étions aussi.<br /> <br /> J'étais mominette, je me souviens surtout de l'impression d'un charisme incroyable, d'une lueur d'intelligence féroce dans l'oeil, d'aussi loin que j'aie pu le voir. Je ne l'aurais pas dit comme ça à l'époque.<br /> <br /> Bien plus tard. Souvenir de la brume (encore) post anesthésie de mon frère, opéré de l'appendicite le jour de la mort de Mitterand, dont il porte le prénom. Visiblement les errances du réveil lui faisaient créer un lien entre les deux, il a mis quelques heures à admettre qu'il n'y avait aucun rapport. <br /> <br /> Mais mon frère est peut-être un mystique qui s'ignore, finalement...
B
Je suis arrivé à Paris, pour la 1ère fois de ma vie le 12 mai 1981.. Routard, débarquant des chantiers de Louisiane ou j'avais amassé assez de fric pour traverser en Europe.. 24 ans...<br /> <br /> Je découvrais la France qui se découvrait elle-même.<br /> <br /> J'étais encore là en '88, place de la République, mais cette fois avec un caméraman. Devenu journaliste je "correspondais" pour la télé publique de Radio-Canada...<br /> <br /> Entre les deux, j'ai vécu en direct la lente désillusion des Français avec parfois, pardonnez-moi, un certain étonnement. "Quoi? Vous croyiez vraiment que ce serait différent?"<br /> <br /> Peut-être parce que j'étais parti d'un pays qui en 80 s'était refusé à lui-même (une première fois, il y en a eu une autre depuis).<br /> <br /> Dans l'exercice de mes fonctions comme on dit, je l'ai rencontré trois ou quatre fois, j'ai même diné à l'Élysée.. Sa poignée de main était molle, il avait le regard absent de celui qui calcule, et qui voit à travers de ceux qui n'ont pas d'importance dans l'échiquier sur lequel il joue.<br /> <br /> Quand j'ai quitté la France fin '90, il était toujours Président, les Français ne croyaient plus vraiment aux changements, et moi j'avais vu 10 ans de spectacle d'un magnifique funambule aux tours incomparables,mais qui n'avait jamais eu vraiment grand chose à voir avec les rêves de mes amis de là-bas..
K
Le 21 février, Robert Guédiguian sera l'invité de Kathleen Evin dans l'émission "L'humeur vagabonde" sur France Inter à 20:10. <br /> Après ce beau billet, j'ai pensé que tu serais peut-être intéressé.<br /> Merci pour tous ces bons moments de poésie composés de mots et d'images.
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