le testament d'Orphée
La première connaissance que l'enfant prend du monde, toute pénétrée de passion, appartient à l'imaginaire. Ni logique ni rationnelle, juste des choses délivrées de leur rôle de signaux, de leur fonction prosaïque. Les images de la nuit reprennent aussi des lambeaux du réel, disent les empiristes. Enfant, je regardais mes rêves partir sur leurs grands chevaux. De hautes silhouettes noires s'agitaient autour de mon lit, et je hurlais, hurlais jusqu'à l'arrivée effarée de mon père dans la chambre. La lumière éteignait tout, les peurs, les cris, l'angoisse. Et la caresse sur le front me berçait déjà vers d'autres songes, plus doux, plus bleus. Jusqu'à la nuit suivante Bien des années plus tard, j'ai retrouvé une explication plausible à ces terreurs nocturnes : le film de Polanski, Rosemary's Baby, visionné accidentellement à l'âge de trois ans, avait imprégné sur mon affectivité des mythes vampiriques et des visions paranoïaques. Ma peur de l'école et surtout de trop hautes maîtresses en blouse sombre fut lente à se guérir. Adulte, j'ai gardé la crainte vive du détournement de candeur. J'en ai même fait un cheval de bataille.